LA SDN ET L’ONU : STRUCTURES ET MOYENS (I)

Publié le par sylvainaltazin

INTRODUCTION

[1]

 

La Société des Nations (1919-1946) et l’Organisation des Nations unies (1945) sont nées respectivement de la Première et de la Deuxième Guerre mondiale avec comme objectif le maintien de la paix et le développement de la coopération entre les peuples. Se montrant impuissante à empêcher les grandes agressions des années 1930 et le déclenchement de la guerre, la SDN a été remplacée par l’ONU, dotée de pouvoirs plus étendus et dont le rôle a été redéfini après la disparition des régimes communistes, en vue d’en faire le principal moyen d’arbitrage des conflits régionaux. Mais les deux organisations seront moins instituées pour répondre à des besoins précis et concrets que pour répondre à un rêve, celui de la paix. Or toute paix correspondant à un ordre, en l’occurrence un ordre mondial, le maintien de la paix a souvent signifié le maintien de l’ordre. En ce sens, la SDN et l’ONU ont été très souvent une scène de théâtre pour la rivalité interétatique, tour à tour plate-formes de propagande, instruments pour justifier une action à l’encontre d’autrui, ou pour stigmatiser le rival.

 

I/ La SDN

 

Première grande organisation internationale de l’histoire, la SDN (dont le pacte est définitivement adopté le 28 avril 1919) doit notamment sa création à l’initiative du président américain Wilson[2] (cf. le discours dit des « quatorze points » qu’il tient devant le congrès en janvier 1918). Le Pacte fondateur et les différentes institutions de la Société des Nations témoignent du caractère ambitieux de l’entreprise, mais aussi sa grande fragilité.

 

A) Le Pacte de la SDN : objectifs et moyens affichés

 

L’édifice de la Société des Nations repose sur la base juridique d’un Pacte composé de 26 articles (correspondant aux 26 premiers articles du Traité de Versailles). Ceux-ci, du fait de leur brièveté, laissent une part non négligeable à l’interprétation. Le Préambule affiche les principes généraux de non recours à la guerre, de refus de la diplomatie secrète au profit de relations « au grand jour » et de l’acceptation des « prescriptions du Droit international ». Suivent les 26 articles destinés à définir ce nouveau type de relations internationales. Les sept premiers articles portent sur la structure de l’organisation (la composition et le rôle des principales institutions que sont l’Assemblée ; le Conseil ; le Secrétariat permanent). Les articles 8 à 17 s’intéressent aux moyens (caractère essentiellement déclamatoire) de garantir la paix (la nécessité de réduire les armements ; la solidarité de tous les membres en cas d’agression de l’un d’entre eux ; le mode de règlement pacifique des différends ; les propositions de mise en place d’une procédure d’arbitrage ou d’un règlement judiciaire en cas de conflit ; les sanctions prévues en cas de non respect des engagements précédents). Les quatre suivants énoncent la prédominance de la SDN sur tous les autres traités ou engagements internationaux. L’article 22 reste assez flou sur la question des mandats. De l’article 23 à 25, le pacte insiste sur le développement du sens de la solidarité entre les hommes et les peuples (les conditions du travail humain ; la répression de la traite des femmes et des enfants ; le traitement équitable du commerce de tous les membres, etc.). Le dernier article met l’accent sur la non rigidité du Pacte (celui-ci pouvant être amendé).

Le document ne crée pas une force politique en dehors ou au-dessus des gouvernements et des peuples, mais un moyen de les unir en vue de la réalisation de l’ordre international. Si la volonté des gouvernements et des peuples fait défaut, tout succès est impossible.

 

B) Structures organisationnelles et fonctionnement de la SDN

 

1. Composition

 

En 1920, juste avant la défection des Etats-Unis, la SDN compte 42 membres, soit plus des trois quarts de la population mondiale : Etats européens (38%) et américains (40%), l’Afrique (5%), l’Asie (12%) et l’Océanie (5%). Ce nombre passe à 60 en 1934. Dès lors certains pays dont l’action est contestée par d’autres membres se retirent : le Japon (1935) à l’issue de la crise mandchoue, l’Allemagne nazie (1935), l’Autriche, que cette dernière annexe (1938), l’Italie (1939), mise en cause dans la crise éthiopienne…Un seul membre sera expulsé : l’URSS à la suite de son agression contre la Finlande (1939). Même pendant le conflit mondial, durant lequel l’organisation semble ne plus exister, il reste au minimum 44 membres.

 

2. Structure et moyens des organes

 

  • L’Assemblée

 

L’Assemblée, censée se réunir chaque année au siège de la SDN, « se compose de représentants des membres de la Société ». C’est l’organe égalitaire de l’institution, où chaque Etat, quelle que soit son importance démographique, économique ou politique, a le même poids. Les décisions doivent être prises à l’unanimité. Celles-ci, cependant, ne constituent que des obligations morales et ne s’imposent pas. Son rôle est donc avant tout médiatique et symbolique : lorsque l’Assemblée se réunit, Genève devient le centre de la diplomatie mondiale. Tous les propos sont analysés et retransmis pour la presse écrite et la radio. D’autant que la proportion des premiers ministres et ministres des affaires étrangères, faible au début, ne cessera d’augmenter jusqu’en 1937. 

 

·         Le Conseil

 

Le rôle décisionnel important incombe au Conseil. Deux types de membres le composent : les membres permanents, « représentants des principales puissances alliées et associées » (il s’agit des principaux vainqueurs : Etats-Unis, jusqu’à leur défection ; Grande Bretagne ; France et Japon) et les membres non permanents « désignés librement par l’Assemblée et aux époques qu’il lui plaît de choisir ». On ne peut que constater la sur-représentation de l’Europe. La périodicité des réunions, elle, n’est pas clairement fixée ; dans la pratique, le Conseil se réunira environ trois fois par an. Quant à ses attributions, elles demeurent aussi larges et floues que celles de l’Assemblée. Ses discussions n’étant pas publiques, il peut y avoir des négociations discrètes entre les grandes puissances, conformes aux anciennes habitudes diplomatiques. L’unanimité est également de mise. Pour répondre aux questions techniques, le Conseil a du créer certains organes consultatifs tels les comités de juristes, les commissions ou de véritables organisations (pour l’hygiène et la coopération intellectuelle notamment). La constitution de ce corps restreint au sein de l’Organisation a, en outre, continuellement suscité des problèmes de tension et de compétition entre les nations pour l’attribution des sièges, donnant lieu parfois à un véritable chantage : quitter la SDN si le siège au Conseil n’est pas confirmé. Le Conseil, enfin, conçu comme organe exécutif, a perdu, avec le poids du nombre, de sa souplesse, de son importance et de son efficacité. Cela entraîne aussi, une scission entre les grandes puissances, qui se concertent avant les séances du Conseil, et de l’autre les non-permanents, appelés à enregistrer avec dépit les délibérations auxquelles ils n’ont pas participé.


[1] Au risque de déborder du sujet, j’ai cru bon, parce que dans les deux cas, la théorie (le texte fondateur) est indissociable de la pratique, de convoquer le contexte historique dans lequel s’inscrit chacune des deux institutions, et quelques unes des interventions des deux organisations.

[2] L’Anglais lord Robert Cecil et le français Léon Bourgeois ont également eu un rôle important.



  • 4. Le Secrétariat

 

La SDN dispose d’un organe permanent, le Secrétariat, établit à son siège (Genève) et chargé d’assurer la continuité dans l’activité de l’Organisation. Il s’agit d’une administration publique, servant les intérêts de la communauté internationale ; ce n’est pas un organe dirigeant mais un organe subordonné dont le rôle est de préparer et d’exécuter les décisions prises par l’Assemblée et le Conseil. L’action sur le terrain est dévolue aux services des pays concernés. L’activité du secrétaire général (dont les plus célèbres ont été Eric Drummond et Joseph Avenol, connu pour son adhésion aux idées du Marchal Pétain) et de ses délégués s’inscrit dans un cadre purement administratif. Le regroupement des sections et des services connaît de nombreux changements avant d’épouser, à la veille de la guerre, la distinction suivante : Département I (les affaires générales tels que la politique, les minorités, les mandats, le désarmement et la coopération intellectuelle) ; Département II (les questions économiques et financières, et le transit) ; Département III (l’hygiène,

Les questions sociales et la répression du trafic de l’opium). Notons pour finir que la grande faiblesse des sommes allouées à la SDN (on sait par exemple qu’en 1922, les dépenses de l’entretien du British Museum sont vingt-sept fois plus importantes que la contribution britannique à la SDN), de l’effectif du personnel (158 en 1920 ; 707 en 1931 ; 99 en 1943) et des moyens de communication de l’époque (le TGV, le Concorde et Internet n’existent pas encore !) n’ont rien fait pour rendre l’Organisation plus efficace.

 

C) Conclusion : l’échec de la SDN

 

Dans les faits, le succès de la SDN doit être souligné concernant les contentieux territoriaux au sujet des Iles Aland (1920), de la Haute-Siolésie (1921), ou encore le conflit gréco-bulgare (1925) et hungaro-yougoslave (1934-1935). Mais incontestablement l’échec est sans appel dans l’affaire de Vilna (1920), de Corfou (1923), de Manchourie (1931), d’Ethiopie (1935-1936), des Sudètes (1938), et pis encore, car il n’y a pour ainsi dire aucune réaction, à propos de l’Anschluss  de l’Autriche par l’Allemagne (mars 1938), de l’occupation de la Tchécoslovaquie (mars 1939), de l’occupation de l’Albanie par l’Italie (avril 1939) et de l’entrée des troupes allemandes en Pologne (septembre 1939). Si l’on tient compte des objectifs politiques fixés par le Pacte, l’échec de la SDN apparaît comme d’autant plus cuisant mais s’explique par deux principaux facteurs. Tout d’abord la SDN, comme on l’a vu, n’a pas été une force politique placée au-dessus des gouvernements et des peuples. Elle n’a pas disposé de personnalité propre, ni de gouvernement, ni d’armée. D’autre part  l’absence de conviction des Etats membres qui n’ont pas su s’entendre ou qui ont privilégié un nationalisme étroit. Les différents gouvernements, consciemment ou non, ont fait de la SDN un bouc émissaire, un alibi facile de leur absence de responsabilité et de leur manque de courage. Quasi inexistante pendant la guerre, la Société des Nations se voit remplacer par l’Organisation des Nations Unies, en 1946, l’objectif premier étant de réussir là où la SDN a échoué.

 

II/ L’ONU

 

L’Organisation des Nations Unis a été créée par une conférence internationale réunie à San Francisco (les principales décisions politiques ont été prises par un comité officieux des quatre Grands : E.U. ; U.R.S.S. ; R.U. ; France) du 25 avril au 26 juin 1945. Son traité constitutif est la Chartre des Nations Unies signée le 26 juin 1945 et entrée en vigueur le 24 octobre 1945. L’analyse de l’ONU s’appréhende à l’aune du contexte historique de sa création et, de manière générale, des forces en présences tout au long de l’histoire des relations internationales. En ce sens elle a revêtu le rôle de scène de théâtre de la rivalité Est-Ouest, mais aussi celui de caisse de résonance pour la décolonisation ; de gestionnaire de cas insolubles dont les grandes puissances ne veulent plus se charger ; de couverture d’opérations de répression menées dans l’intérêt des Etats-Unis, et accessoirement de leurs alliés.

 

 

A) La Charte des Nations Unies : objectifs et moyens affichés

 

La Charte est un traité compliqué et parfois obscur, en raison du caractère transactionnel de ce texte, reflet de tendances contradictoires et de compromis ambigus. Elle comporte 19 chapitres divisés en 111 articles, ainsi qu’une annexe de 70 articles formant le Statut de la Cour internationale de Justice, « qui fait partie intégrante » de la Charte. Son Préambule affirme, d’une manière solennelle, un certain nombre d’intentions sur la paix et le progrès social attribuées aux peuples des Nations Unies (« foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits […] droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Le premier chapitre énonce les buts et principes de l’Organisation (principe de la souveraineté de l’Etat, le principe corollaire de la compétence réservée des Etats et le principe de l’égalité des Etats) ; la non intervention dans ce qui ne relève que de la compétence nationale, etc.). Le deuxième énumère les conditions de la participation (sont admis tous les « Etats pacifiques qui acceptent le obligations de la Charte et, au jugement de l’Organisation, sont capables de les remplir et disposés de le faire »). Les chapitres III à V, X, XIII, XIV et XV réglementent les organes principaux : Assemblée générale, Conseil de sécurité, Conseil économique et social, Conseil de tutelles, Conseil international de Justice, Secrétariat. Les chapitres VI, VII, IX, XI, XII et XVII traitent des activités de l’Organisation en matière politique, militaire, économique, sociale et coloniale, auxquelles sont affectés les organes précédents. (Le cœur de la Charte se situe au chapitre VII – action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression – flanqué des chapitres VI sur le règlement pacifique des différents et VIII sur les accords régionaux). Le chapitre XVI concerne certains problèmes juridiques, tandis que le XVIII prévoit la révision de la Charte. Enfin, le chapitre XIX règle les modalités de la signature, de la ratification et de l’entrée en vigueur de la Charte et reconnaît le caractère officiel des cinq langues (chinoise, française, anglaise, russe et espagnole) dans lesquelles la Charte est rédigée. Contrairement à la SDN qui avait une dimension essentiellement européenne, l’ONU est bien une organisation universelle. En outre, la notion de maintien de la paix par interposition de casques bleus (militaires de la force d’urgence de l’ONU constituée par des contingents nationaux fournis par les Etats membres et placé sous un commandement international) n’est pas dans la Charte. Elle a été inventée afin de mettre fin à la guerre de Suez en 1956.

Publié dans HOMO-POLITICUS

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