La Constitution De La IIIème République (II)

Publié le par sylvainaltazin

 

C. La pratique constitutionnelle

 

1. La « République des républicains »

 

a) L’élection des sénateurs

 

Les élections sénatoriales donnent une légère majorité conservatrice et une poussée des républicains.

 

b) La crise du 16 mai 1877

 

L’élection de la Chambre des députés marque un succès pour les républicains et un gouvernement de centre gauche est tout naturellement formé. Suite à l’abrogation des peines pour délits de pesse et un ordre du jour condamnant les manifestations ultramontaines, Mac-Mahon blâme son président du Conseil, Jules Simon, et affirme, le 16 mai, « sa responsabilité envers la France » (opposition entre les prérogatives constitutionnelles du président et celles du gouvernement). Simon démissionne et est remplacé par de Broglie qui constitue un Gouvernement d’ordre moral. Celui-ci obtient le 18 mai un décret d’ajournement de la Chambre pour un mois. En réponse, celle-ci adopte un manifeste signé par 363 députés qui refuse de reconnaître le Gouvernement «  appelé aux affaires contrairement à la loi des majorités qui est le principe du régime parlementaire. » Le 25 juin, avec l’avis conforme du Sénat, Mac-Mahon dissout la Chambre. Gambetta prévient Mac-Mahon : « Quand le pays aura parlé, il faudra se soumettre ou se démettre. »

Les élections sont très favorables aux républicains.

 

c) la démission de Mac-Mahon

 

En janvier 1879, le premier renouvellement partiel du Sénat, après l’élection d’une majorité républicaine lors des municipales de 1878, assure l’écrasante victoire des républicains. Mac-Mahon, refusant de signer des décrets de révocation d’officiers généraux, démissionne le 30 janvier 1879. Le même jour, Jules Grévy est élu à as place. Tout le régime est désormais aux mains des républicains. Cette emprise est confirmée par une révision de la Constitution. Tandis qu’en 1879 une révision fixe le siège du Gouvernement à Paris (et non plus à Versailles). Les sénateurs inamovibles sont supprimés (graduellement, à mesure qu’ils disparaîtront, leurs sièges seront soumis par élection par les départements) par une loi de 1884. En outre la loi introduit une certaine proportionnalité entre le nombre de délégués sénatoriaux et le chiffre de la population.

2. La rupture de l’équilibre initial des pouvoirs

 

a) La « Constitution Grévy »

 

La crise du 16 mai 1877 a pour effet d’abroger en fait le droit dissolution, instrument d’équilibre face à la responsabilité ministérielle devant le Parlement. Quant à Jules Grévy, il entend bien affirmer l’irresponsabilité du chef de l’Etat et la suprématie parlementaire. : soumis avec sincérité à la grande loi du régime parlementaire, je n’entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par ses organes constitutionnels. »Cette « Constitution Grévy fait reposer la confiance du gouvernement devant le Parlement et le chef d’Etat. L’interprétation moniste, fidèle à l’héritage révolutionnaire faisant d’autant mieux que Grévy s’attache à ne pas utiliser certains droits du président : ajournement ou prorogation de chambres, droit de message, demande d’une deuxième délibération d’une loi.

 

b) L’échec des tentatives e restauration de la présidence de la République

 

Certains présidents de la République essaieront, en vain, de contrecarrer l’abaissement de leurs fonctions à une magistrature seconde : Casimir Périer ou Alexandre Millerand. Mais le président de la République demeure influent en matière de politique extérieure. « il négocie et ratifie les traités ». En politique intérieure, le président de la République, outre la présidence du Conseil des ministres, conserve le droit de nommer le président du Conseil. Mais la force de certains gouvernements tiendront plus à la personnalité de leur chef ou aux circonstances qu’aux pratiques politiques dominantes. Quant au président du Conseil, dans la plupart des cas il est en même temps ministre et n’est pas vraiment un chef de Gouvernement. C’est lui qui nomme les ministres plu sou moins représentatifs de la coalition parlementaire et des groupes qui la forment.

 

c) La souveraineté du Parlement

 

Le Parlement est juge de la régularité de l’élection de ses membres, fixe librement son règlement, son ordre du jour. Un projet de loi émanant du Gouvernement passe par le filtre des commissions spéciales, dites ad hoc, tandis que les commissions permanentes émergent et ont tendance à les supplanter (la commission des finances du Sénat sous le Front populaire, présidé par Joseph Caillaux a mené un combat sans merci contre le Gouvernement)

Malgré ses défauts, le processus législatif, au moins jusqu’à la Grande Guerre, ne souffrit pas de cette domination du Parlement d’autant mieux que son œuvre dans les principaux domaines (école, communes, libertés syndicales, libertés publiques) se confond avec le consensus républicain. Mais l’accomplissement et l’épuisement de la République des origines va mettre à jour ses défauts de fonctionnement.

 


3. Le dérèglement des institutions

 

a) Une instabilité ministérielle croissante

 

L’instabilité des gouvernements de la IIIe République et leur succession parfois rapide ne doivent pas faire oublier la stabilité des ministres. D’autre part il existe des périodes de stabilité tenant à la personnalité du chef du Gouvernement et/ou à la période et aux problèmes posés. Jules Ferry (1883-1885), Pierre Waldeck-Rousseau (1899-1902), Georges Clemenceau (1906-1909 et 1917-1919), Raymond Poincaré (1922-1924 et 1926-1929). Enfin l’instabilité gouvernementale est plus importante après qu’avant guerre.

 

b) La dislocation des majorités après-guerre

 

Globalement cette instabilité tient à la faiblesse des partis et à l’existence de coalitions électorales fragiles. Pendant la première période de la IIIe République, il n’y a pas de renversements de majorités mais des ajustements, l’axe des majorités se situant au centre. Entre les deux guerres, il y a de fameux renversements complets de majorité : 1924 avec le Cartel des gauches ; en 1932 avec l’Union des gauches et en 1936 avec le Front populaire. Cette discontinuité s’éclaire au regard de l’absence d’accord sur les politiques à mettre en œuvre. Alors que la stabilité des ministres compense de moins en moins celle des gouvernements, le Sénat ne contribue plus à être un facteur de stabilité du régime. Tandis que s’organise pratiquement une certaine bipolarisation politique, le Sénat contribue à empêcher qu’elle s’institutionnalise au niveau gouvernemental, préférant plaider pour une « concentration républicaine »inadaptée aux clivages politiques et sociaux de l’après-guerre.

 

4. La fin de la IIIe République

 

a) L’impossible réforme de l’Etat

 

Dans les années 1888-1889, le boulangisme et son programme autoritaire (dissolution, constituante, révision) a disqualifié pendant longtemps toute idée de réforme des institutions considérée dès lors comme attentatoire à la République et au parlementarisme qui l’incarne. Il faut attendre les années trente pour que surgisse le courant des « non-conformistes », favorables à une réforme de l’Etat. Se situant globalement à droite et héritière des thèses de carré de Malberg, ce courant assez composite plaide pour la souveraineté populaire, le référendum, le droit de dissolution du chef de l’Etat sans entrave, le contrôle de constitutionnalité des lois. Chez les politiques, la personnalité d’André Tardieu est à noter. Les tenants de la réforme ont pour objectif la restauration de l’exécutif et la limitation de l’influence des Assemblées. Une large partie de ce courant souhaite aussi dépasser le régime représentatif mais l’obsession de la date fatidique du 2 décembre repousse l’idée d’une élection présidentielle au suffrage universel direct. Ainsi Tardieu (comme Millerand) propose de permettre au chef de l’Etat de se passer de l’avis conforme du Sénat. C’est d’ailleurs sur ce point crucial que la réforme de l’Etat capotera, dès lors qu’elle deviendra, après les incidents du 6 février 1934, une préoccupation parlementaire.

Les émeutes antiparlementaires de février 1934 (faisant suite au scandale de l’affaire Stavisky et à la violente campagne de presse contre le régime et la corruption parlementaire) devaient provoquer la chute du cabinet Daladier et l’arrivée d’un Gouvernement d’Union républicaine dirigé par Doumergue et contribuent à ce que le Parlement se saisisse, à contrecœur, de la réforme de l’Etat. Mars 1934, la Chambre des députés constitue une commission tandis que le Sénat l’imite timidement trois moi plus tard. La première aboutit en avril à un projet relativement complet : renforcement de l’exécutif par la création et l’organisation d’une présidence du Conseil, la limitation du nombre de ministres, un droit de dissolution libéré d’un avis conforme du Sénat, limitation du droit d’initiative des députés en matière d’augmentation des dépenses publiques, possibilité pour le Gouvernement de passer outre l’inertie de l’une ou l’autre chambre dans le processus législatif – par décrets-lois, rationalisation du travail parlementaire par la limitation du droit d’interpellation, élargissement de l’électorat aux femme, vote familial, etc.

Le Gouvernement Doumergue, dont Tardieu fait partie, tarde à prendre une position. Les 24 septembre et 4 octobre, le président du Conseil s’adresse aux Français par la radio, ce qui choque la tradition représentative et provoque la colère de la gauche craignant le « pouvoir personnel ». L’économie de son projet est l’institution d’un « Premier ministre », doté du droit de dissolution, sans avis conforme du Sénat, du monopole de l’initiative des dépenses publiques et de la faculté de proroger le budget. Le Sénat s’oppose à la suppression de l’avis conforme. Bientôt les radicaux s’oppose à la réforme institutionnelle. Le Gouvernement Doumergue démissionne le 8 décembre. Le nouveau Gouvernement tourne la page à la réforme à l’exception de l’institution d’une véritable présidence du Conseil qui s’installer à l’Hôtel Matignon.

 

b) La chute

 

Faute de se réformer, le régime tend à pallier les insuffisances du système parlemen,taire par l’utilisation croissante des décrets-lois, officialisés en 1924. Cette procédure s généralise du fait de l’extension entre les deux guerres du rôle de l’Etat en matière économique, financière et sociale et de la crise qui secoue le monde occidental. En France, elle souligne aussi une tentative pour pallier l’impuissance du parlementarisme, ôtant aux chambres leur responsabilité sur des sujets cruciaux mais aussi impopulaires sans signifier une réforme durable et structurelle des institutions assurant à l’exécutif une stabilité durable. Du domaine économique et financier à la défense nationale, le Parlement devait aller jusqu’à déléguer son pouvoir constituant en 1940.


Publié dans HOMO-POLITICUS

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article