Mondialisation Et Etat Providence (III)

Publié le par sylvainaltazin

 

puissants groupes de pression ne l’interdisent pas : dans le système social, les institutions culturelles et les services publics, depuis les piscines jusqu’aux universités, en passant par les musées. Tout cela explique peut-être pourquoi un enfant britannique sur trois grandit aujourd’hui dans la pauvreté, et un million et demi d’enfants de moins de seize ans doivent travailler faute d’aide sociale.

 

  • Les multinationales et le capital transnational

 

Aujourd’hui, la moitié des cents entités les plus riches du monde sont des sociétés multinationales. La concentration d’entreprises par fusions-acquisitions et joint-ventures est devenue le principal facteur d’accumulation du capital. La part du capital transnational a logiquement explosé. Dans ce tourbillon, les intérêts des entreprises divergent de plus en plus de ceux des Etats-nations. L’idée selon laquelle les Etats ont de moins en moins de capacités d’action, notamment face aux entreprises multinationales, aux actionnaires, aux places financières et aux institutions internationales alors même que ces instances n’ont aucune véritable légitimité démocratique, est assez répandue. Les gens sont de plus en plus conscients de l’impact du système de production et de consommation actuelle sur l’environnement de la planète et la vie sociale des peuples. Depuis la fin du système de changes fixes (1973), le volume d’échanges quotidiens des devises n’a fait qu’augmenter[1]. Cette hypertrophie des marchés a gonflé anormalement la capitalisation boursière qui, sans rapport avec la croissance économique réelle, débouche sur une économie d’emprunts comportant des risques évidents pour le système bancaire et l’économie. Le but du jeu consistant à faire supporter la dette par un autre que soi. Comment ne pas craindre alors les risques de création d’une économie virtuelle déconnectée de l’économie réelle, et l’éclatement d’une bulle spéculative[2] dont celles de Wall Street (1987), Tokyo (1990), Mexico (1994) et Hong Kong (1997) ne seraient que les prémisses  ? Mais au palmarès de ce qui échappe complètement aux Etats, les flux d’information se positionnent en tête.

 

C. « L’Etat séducteur »[3]
  • Le web Etat

 

L’Etat ne peut plus exercer de contrôle sur les émissions reçues sur son territoire, sauf à interdire les antennes paraboliques, comme c’est le cas en Iran. Et désormais, les gouvernements élaborent leurs politiques dans un contexte caractérisé par une prolifération d'informations transmises plus rapidement et plus largement que jamais. Des questions qui étaient jadis de caractère local prennent une envergure nationale ou internationale par le simple jeu d'un clavier d'ordinateur. On aurait pu s’attendre à une optimisation des échanges citoyens-Etat, société civile-pouvoir politique, ainsi qu’à une participation sans cesse accrue des individus à la chose publique. Or il n’en est rien. On sait pourquoi « plus il y a de chaînes, moins il y a de choix », et « plus on communique, moins on informe ». Pis, l’influence de la mondialisation de l’information et de la communication sur l’Etat est néfaste, si l’on en croit Régis Debray qui écrit : « L’Etat séducteur vibre par toutes ses antennes aux heurs et malheurs du village global. S’émouvant de plus en plus et s’engageant de moins en moins, mariant l’excitation visuelle et l’apathie morale, il a le mondialisme passif. »[4]




[1] De 20 Mds. $ en 1973, il est passé à 200  Mds. $ en 1986, atteignait 1300 Mds. $ en 1995 et avoisine les 2000  Mds aujourd’hui. $. Le marché des obligations ayant connu la même progression, en raison justement du fort taux d’endettement des Etats.

[2] Certains analystes expliquent cette hypertrophie boursière par la faiblesse des taux directeurs des Banques centrales qui tiennent compte du contexte désinflationniste et du besoin de croissance.

[3] Régis Debray, L’Etat séducteur

[4] Régis Debray, L’Etat séducteur

 


  • « Less-objection program »

 

Les multiplicateurs d’impact (d’une déclaration, d’une décision, d’un mot de trop) que sont aussi les mass media obligent déjà les hommes en charge à un surcroît de retenue verbale, par peur de ces précipités plus ou moins explosifs qui peuvent naître à tout instant d’une phrase sortie de son contexte ou une boutade par malheur enregistrée. La « prudhomesque platitude des propos ministériels » [1] a donc une excuse pour ainsi dire défensive. A quoi s’ajoute un calcul plus offensif. Le marketing recommande les choix fédérateurs aux heures de grande écoute pour ne pas scinder les familles, gauche et droite, jeunes et vieux ensemble. « Selon la règle du « minimax » politique, ou comment toucher le maximum de clients avec le minimum de risques, la réponse type est le « less-objection program », celui qui ne choquera aucune communauté en respectant les normes minimales du bien-penser et du savoir-vivre. »[2] Journal unique, discours unique, pensée unique. A ce jeu, malheureusement, nos hommes publics, sont condamnés à être consensuels dans la forme comme sur le fond [3]. Ainsi l’Etat, tant dans les affaires nationales qu’internationales fait vœu de prétérition.

 

III/ La nécessité et l’offensive des Etats face à la mondialisation

 

A. Avec ou sans Etat

 

  • La société contre l’Etat

 

De Tocqueville au néolibéralisme contemporain, nombreux sont ceux qui ont dénoncé et dénoncent la tendance de l’Etat moderne à investir des sphères de plus en plus larges de la société civile. Dans Du Pouvoir, Jouvenel, invalide l’émergence d’un Etat « socialiste » omnipotent qui a tendance à régir et à rationaliser la totalité de la société civile. Au même titre que Weber il accuse la bureaucratie de l’Etat et le monopole étatique sur les appareils de contrainte. De même John Stuart Mill, dans son livre De la Liberté, s’érige, au nom des libertés individuelles, contre le despotisme de l’opinion majoritaire. Tandis que Pierre Rosanvallon démontre la déresponsabilisation individuelle à laquelle le welfare state a mené. A ces remises en cause vient se greffer l’utopie défendue par certains tenants de l’économie libérale : celle de sociétés modelées par un système de marché international qui se régulerait lui-même. En outre d’autres mettent en avant que la perte du pouvoir de l’Etat n’est pas nécessairement regrettable, et comme l’a montré l’histoire, il peut être un ennemi plus grand de la société que les forces du marché. Le fascisme (qui selon Jean-Louis Bauer est synonyme de statocratie, comme l’ont illustré les régimes mussoliniens et franquistes) et l’hitlérisme et paradoxalement le communisme ont montré le risque d’une trop grande autorité conférée à l’Etat. Toutes ces critiques concourent à une limitation de la souveraineté qui demeure plus que jamais actuelle. Le discours libéraliste, et derrière lui le modèle anglo-saxon, fait recette dans de nombreux pays, y compris ceux qui jusque là avaient gardé une certaine protection sociale (la politique du gouvernement Aznar, Raffarin, Berlusconi, etc.). Une redéfinition des compétences de l’Etat se fait jour, phénomène accentuée par la décentralisation et la régionalisation, et qui doit tenter de s’affranchir de la fausse alternative libéralisme / protectionnisme.

 

  • Du nationalisme à l’intégrisme

 





[1] L’Etat séducteur, Régis Debray

[2] L’Etat séducteur, Régis Debray

[3] Et à ce jeu, notre actuel président de la République est passé maître.

Publié dans HOMO-POLITICUS

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