Mondialisation Et Etat Providence (I)

Publié le par sylvainaltazin

La mondialisation signifie-t-elle la fin du rôle de l’Etat ?

 

A première vue, une telle question s’accompagne d’une réponse négative. Nous sommes, en effet, dans l’ère de la mondialisation, or les Etats existent et continuent à revêtir un rôle important tant sur le plan national que sur le plan international. Cependant ce rôle, et les principes mêmes d’ Etat providence, d’Etat de droit, d’Etat-nation et leur corollaire (souveraineté nationalesouveraineté populaire etdémocratie), tendent à se transformer et à être remis en cause du fait même de la mondialisation. Ce phénomène représente même l’un des défis et des enjeux politiques majeurs de notre temps. Il convient donc d’appréhender la relation entre les deux concepts que sont l’Etat et lamondialisation, leur interaction, leur conflit et leur complicité. Quelles formes prend cette remise en question de l’Etat et quelles réponses les Etats eux-mêmes apportent-ils ?

Dans un premier temps, il semble utile de définir les deux termes à l’aune de leur construit sémantique et historique. ( I ) Puis l’accent portera sur la mise à l’épreuve et la remise en cause de l’Etat par la mondialisation. ( II ) Enfin nous montrerons la nécessité des Etats et leur offensive face à la mondialisation. (III)

 

I/ La construction sémantique et historique (du rôle) de l’Etat et de la mondialisation

 

A. Vers l’interventionnisme étatique

 

  • L’Etat protecteur

 

« Les hommes ont inventé l’Etat pour ne plus obéir aux hommes. » [1]L'État s'est construit, en occident, afin de répondre aux besoins de sécurité d'une population. D'abord liés aux questions de sécurité extérieure, ces besoins de sécurité vont rapidement s'élargir à d'autres domaines sociaux. Les fonctions de base de l'État vont devenir, avec le temps, la défense du territoire face aux déprédations d'invasions extérieures, le maintien de la loi et de l'ordre (l’Etat dispose du monopole de la force armée légitime, organisée sur son territoire, auquel est lié le monopole d’édiction du droit)[2] , la garantie de la stabilité de la monnaie, l'assurance qu'il y ait des règles juridiques compréhensibles pour les échanges de base entre contractants. Dans beaucoup de pays industrialisés, les fonctions de l’Etat vont largement dépasser le domaine de ces fonctions régaliennes et des services publics irréductibles.

 

  • Le développement des prérogatives de l’Etat

 

Les formes rationnelles de l’Etat vont s’étendre en parallèle à une démocratisation accrue. A l’époque du « laisser faire, laissez-passer », avec le triomphe du capitalisme libéral au XIXe siècle, ne donnant à l’Etat qu’un rôle limité, s’est substitué un développement des prérogatives étatiques. Les moments clés de cette évolution ont été, en 1917, la révolution d’Octobre en Russie qui a conduit à la création d’un Etat soviétique défini comme acteur économique principal, propriétaire de tous les moyens de production ; la crise de 1929 qui a incité l’Etat, dans les pays occidentaux, à intervenir dans le champ économique et social, sous l’appellation d’Etat providence (devant être compris, selon Pierre Rosanvallon comme un développement de l’Etat-protecteur) qui s’est surtout épanoui après la Seconde guerre mondiale.

 

  • L’Etat providence


[1] G. Burdeau, L’Etat. Cf. aussi« L’Etat, à l’époque moderne, se présente comme l’institutionnalisation du pouvoir politique. »

[2] La notion d’ « Etat de droit » serait un pléonasme aux yeux de certains juristes. P. Rosanvallon ayant, quant à lui, dit que nous étions passé du « royaume au loyaume de France »

 


Dès lors l'État se donne un rôle régulateur afin de corriger les défaillances du marché, en particulier les défaillances macroéconomiques. L'État s'efforcera de stabiliser l'économie, de maintenir le plein emploi, de favoriser la croissance, d'assurer la stabilité des prix et de favoriser l'équilibre extérieur. Il se fixe également pour mission d'assurer la hausse du niveau de vie et le développement régional. À cette époque, le commerce international était plus ou moins important d'un pays à l'autre mais la croissance économique dépendait plus généralement des marchés intérieurs. Tandis qu’un grand nombre de nouveaux Etats nés de la décolonisation, dans les années 1960, opteront pour des méthodes d’interventionnisme d’Etat, à travers une planification plus ou moins inspirée du modèle soviétique et un développement d’entreprises publiques.

 

  • Etat-nation et Nations Unies

 

L’importance du rôle de l’Etat est plus (la France, l’Allemagne, le Japon, les pays nordiques, etc.) ou moins (les pays anglo-saxons, certains pays de l’Europe de l’Est, depuis la désintégration du communisme) avérée selon les pays. Mais c’est à l’Etat lui-même, dans la complexité et l’unité de ses institutions, que revient le rôle de titulaire de la souveraineté. C’est à travers l’Etat, enfin, que la nation exerce son autonomie et requiert son indépendance, cette indépendance qui est la face de la souveraineté tournée vers le monde extérieur, vers les autres nations[1]. Aussi parle-t-on d’ « Etat-nation » et de « Nations Unies ». La charte de l’ONU, d’ailleurs, proclame le principe de la souveraineté de l’Etat, le principe corollaire de la compétence réservée des Etats et le principe de l’égalité des Etats.

 

B. Les nombreux visages de la mondialisation

 

  • Prémices de la mondialisation

 

Notion galvaudée mais complexe, la mondialisation peut se définir comme le « processus multiséculaire de contraction de l’espace et du temps, par la multiplication des flux et des réseaux entre toutes les parties de la planète » [2]. Jacques Le Goff[3] parle quant à lui de mondialisations au pluriel dont la première manifestation remonte à l’Empire romain (la « mondialisation romaine »). Du XVe siècle, avec la colonisation liée à l’expansion de l’Europe et les Grandes découvertes, jusqu'à nos jours, à l’exception d’une brève période de 1917 à 1945, la mondialisation des échanges fut une réalité. Les inventions du XIXe siècle, du chemin de fer au téléphone, accentueront la vitesse des échanges. Après 1945, sous l’égide des Etats-Unis, le capitalisme instaurera un espace de libre circulation. Ainsi, la mondialisation a tendance à être assimilée à la mondialisation de l’économie, et précisément à celle du capitalisme.

 

  • Mondialisation de l’économie

 

La délocalisation des entreprises, l’acquisition d’entreprises étrangères, l’élimination progressive des barrières tarifaires (dont les accords de Maastricht, du GATT et de l'ALENA sont des exemples probants), le rôle croissant des banques, le décloisonnement des institutions financières, l'accroissement du volume boursier, la révolution des technologies de l’information et de la communication et la libre circulation des capitaux et des personnes. Tels sont les principaux aspects







[1] Dans l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, il est écrit : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. »

[2] Pierre Moreau Defarges, Cahiers français n° 305, mondialisation et inégalités

[3] In Cahiers français n° 305, mondialisation et inégalités

 


que recouvre désormais la mondialisation tel qu’on l’entend aujourd’hui. De cette appréhension du terme sourd une connotation assez négative. D’autant que la mondialisation provoque des inégalités et de l'exclusion. 80 % de la population mondiale vit dans les pays les plus pauvres qui ne produisent que 20 % du revenu mondial total [1] , et la distance s’y creuse toujours plus chaque jour, entre nantis et démunis. L’écart moyen de revenu entre individus des zones du Sud et des zones du Nord, qui était de 42 contre 1 il y a 30 ans, est aujourd’hui de 250 contre 1. Une telle approche reste néanmoins restrictive.

 

  • Une mondialisation polysémique et polycéphale

 

La mondialisation couvre des aspects multiples et divers tendant à favoriser la montée des interdépendances et la remise en cause des frontières nationales. Quels rapports, en effet, existe-t-il entre Internet, la télévision satellite, les cigarettes détaxées, le boum des transports maritimes, routiers et aériens, l’immigration clandestine, l’augmentation du rôle des multinationales, l’émergence des ONG, la formation d’un ordre public international (sourdant d’un consensus général sur les valeurs démocratiques et les droits de l’homme, affirmés d’abord dans la réaction aux atrocités nazies et s’exprimant au sein de l’ONU) ? Susan Strange [2], elle, refuse d’utiliser le terme de mondialisation, qu’elle estime un « euphémisme poli pour désigner l’américanisation continue des goûts des consommateurs et des pratiques culturelles ».

 

C. L’Etat nation engendre la mondialisation

 

  • Les Etats-Unis engendrent la mondialisation

 

Pour l’auteur, Les Etats-Unis ne sont pas innocents dans l’avènement de la mondialisation. « Le gouvernement américain a perdu de la puissance au profit du marché, et il s’est lui-même infligé cette perte. Désireux de rendre le reste du monde sûr et accueillant pour le capitalisme américain, les gouvernements américains successifs ont érodé les barrières aux investissements étrangers et encouragé la mobilité du capital, détruit les accords de Bretton Woods, contourné le GATT par des lois commerciales unilatérales, et dérégulé les marchés financiers et des transports aériens. Toutes ces décisions politiques américaines ont provoqué un changement dans l’économie mondiale, et nombre d’entre elles ont contribué à éroder l’autorité légitime des Etats sur l’économie. » [3] Il me semble cependant qu’aux seuls Etats-Unis n’incombent pas toute la responsabilité dans la globalisation économico-financière.

 

·         L’Etat et la globalisation des marchés

 

Selon François Chesnais, la mobilité du capital est l’un des effets de la globalisation financière mais n’en est pas la cause. Celle-ci étant davantage à rechercher du côté de la faillite de l’Etat-Nation, de l’Etat Providence issue des statonationalismes du XIXe et XXe siècles. En effet, pour lui, ce n’est pas le capital erratique qui a développé la mondialisation, mais ce sont les Etats-Nation qui l’ont engendré pour s’assurer d’un financement nécessaire à leur autorité protectrice. Il existerait un lien direct entre la montée en puissance de la finance globalisée et libéralisée, d’une part, et l’augmentation des déficits publics dans les pays industrialisés depuis le début des années 80


[1] Il faut nuancer ces chiffres car le Sud sert de plus en plus de main d’œuvre bon marché au Nord. Cf. Le bateau ivre de la Mondialiastion, A. Zacharie, E. Toussaint

[2] In The Retreat of the State

[3] S. Strange, « Wake up, Krasner ! The worls has changed », Review of international Political Economy

 


Publié dans HOMO-POLITICUS

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