Fiche De Lecture Sur Télévision, Stéphane Breton, Grasset, 264 P (V)

Publié le par sylvainaltazin


Sur la couverture du livre illustrée par une Vanité de Philippe de Champaigne figure en grosses lettres le mot « Télévision ». C’est cependant le diminutif « télé » que l’auteur utilise, excepté à la toute fin de l’ouvrage, non sans dénigrement : « La chose s’appelle télévision. ». La distance et l’aversion entretenues par l’essayiste avec son objet se couple, là se situe sans doute le paradoxe, avec la dimension religieuse qui lui est conférée.

Quand on sait que 94 % des foyers français sont équipés d'au moins un téléviseur aujourd'hui, contre 5 % en 1958. Que la durée moyenne d'écoute par téléspectateur dépasse les 200 minutes par jour. Que la télé, quelque soit l’incrédulité avec laquelle on la regarde, occupe une place importante, rythmant le quotidien (repas, soirées, etc.) et les sujets de conversation. Que la télé est perçue – par ses thuriféraires ou ses détracteurs – comme une « nurse cathodique », un commentaire, une image ou un miroir du monde, un moyen thérapeutique, un « entraînement à la posture consommatrice », ou encore le nouvel « opium du peuple ». Difficile de garder son calme.

Stéphane Breton opte pour l’essai pamphlétaire ironique et véhément. Un essai, pas un travail universitaire exhaustif ni une recherche empiriste : aucune œuvre ni auteur ayant trait à la télévision n’est cité ; aucune enquête n’a été effectuée ; les citations d’auteurs (écrivains, sociologues, philosophes, ethnologues, cinéastes) ne renvoient que très rarement à un livre précis ; de même nul renseignement sur la méthode et le corpus. On sait, à la lecture du livre, que seule la télévision hertzienne française a été étudiée. Et que l’auteur a du (c’est une supposition) simplement se contenté de se forcer à regarder la télévision pendant plusieurs mois, muni d’un crayon, d’une feuille de papier, et (j’imagine) d’un magnétoscope. Ces éléments corroborent, encore une fois, le mépris qu’il exprime à l’égard de la télé.

Mais si cet ouvrage m’a franchement intéressé, c’est que sa critique viscérale s’appuie sur une analyse assez minutieuse de la scénographie de l’image et du son. Ce qui fait de ce texte un bon outil pour les cinéphiles et les littéraires mais devrait peut-être rebuter certains sociologues. En effet Télévision s’inscrit en faux contre les études de réception de la télévision. Primat absolu est donné au dispositif télévisuel. Rien (ou presque) sur le téléspectateur. Rien non plus sur le fond, ce qui importe c’est la forme. (D’ailleurs le fond ne sourd-t-il pas de la forme ?) Au confluent de la politique, de la religion, de l’esthétisme picturale et cinématographique, de la littérature et des sciences humaines, ce livre pourrait se résumer en quelques lignes : l’impersonnalité et le pluralisme monologique de la parole télévisuelle, adossée à l’image comme « un emprunt à une garantie », entend se subtituer au signe même, la télé ayant acquis une légitimité qui s’affranchit de toute responsabilité, de toute transcendance et de toute empreinte d’une relation sociale.

Très plaisant à lire, mais d’une rigueur intellectuelle parfois contestable, cet essai a tendance à opposer de façon un peu trop caricaturale la télé et le cinéma. Sauf exception, les cinéastes convoqués sont, aux yeux de l’étudiant de cinéma que je suis, parmi les plus importants qui soient : Tarkovski, Van Der Keuken, Bresson[1], Hitchcock, Ozu, Kurusawa, Wiseman ou encore Godard. Excusez du peu. Or il est certain qu’aujourd’hui nous assistons à une forme d’hybridation esthétique et économique du petit et du grand écran. Même pour le documentaire, il n’y a qu’à voir Michael Moore et ses émules, où le style « clip » et la fictionnalisation du réel sont devenus monnaie courante.

En outre, quelque soient les critiques justifiées que l’on puisse adresser à l’encontre de la télévision, il demeure certains programmes strictement télévisuels non sans intérêt : Thalassa (France 3) ; leZapping (Canal plus) ; C dans l’airRipostesArrêt sur image (France 5) ; TracksMétropolisGeoDe quoi je me mêle (Arte) pour ne citer qu’eux, parfois comparables, en terme de qualité, à ce que l’on trouve sur France culture. Radio sur laquelle on parle avec pertinence de la télévision.

 



[1] Dont la lecture de ses Notes sur le cinématographique, probablement l’un des meilleurs livres que l’on ait écrit sur ce sujet, complète très largement les propos deTélévision.

Publié dans MEDIA & COMMUNICATION

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